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GAUTHIER Sébastien, 2006-11-16

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Sébastien Gauthier, né en 1956, est physicien, directeur de recherche CNRS. Il soutient sa thèse en 1981 à l’Université de Paris Diderot. Elle porte sur une étude quantitative de la spectroscopie tunnel. Il travaille ensuite au Groupe de physique des solides de Paris Jussieu (Universités Paris 6 et 7 - CNRS). Il contribue à y développer la microscopie à effet tunnel pour l’étude des surfaces cristallines. Puis il intégre l’équipe « STM, AFM, NFOM, nanomanipulation, surface » du Groupe Nanosciences (GNS), coordonné par Christian Joachim au Centre d’élaboration des matériaux et d’études structurales (CEMES). Ses recherches au CEMES concernent l’instrumentation associée à la microscopie en champ proche, les nanosciences et l’électronique moléculaire.

Autorisation de diffusion

Pour citer l’entretien :

« Entretien avec Sébastien Gauthier », par Xavier Guchet et Sacha Loeve, 16 novembre 2006, Sciences : histoire orale, https://sho.spip.espci.fr/spip.php?article2.

Lieu : bureau de Sébastien Gauthier, CEMES, Toulouse, France.

Support : enregistrement numérique.

Transcription et édition en ligne : Sacha Loeve.


SACHA LOEVE (SL) : Pourriez-vous nous dire où vous avez été formé au STM ?

SÉBASTIEN GAUTHIER (SG) : Où j’ai été formé ? Et bien... nulle part ! Quand on a démarré, on partait de pas grand-chose. Je suis allé à Zürich, là où a été construit le premier STM. J’ai vu Rohrer, qui m’a reçu. Il m’a expliqué un certain nombre de trucs. Il m’a donné une photo de son appareil, et avec ça, je me suis débrouillé ! J’avais des questions à lui poser, et il m’a expliqué. Il m’a montré un certain nombre de choses, voilà... et puis j’en ai fabriqué un.

XAVIER GUCHET (XG) : Et le STM que vous aviez fabriqué, il était différent de celui de Rorher ?

SG : Oui, un peu différent. Je suis quand même parti de ce qu’il m’avait montré, après, ça a évolué de manière assez différente.

XG : Et il y avait beaucoup de physiciens qui, comme vous, s’intéressaient déjà à cet époque à cet instrument, qui en fabriquaient ou essayaient d’en fabriquer ?

SG : Oui, enfin, en France, il y avait quatre ou cinq groupes qui s’y sont mis à la même époque.

XG : Il y avait beaucoup d’échanges entre les groupes ?

SG : Au début, oui. On était tous dans le même bateau.

XG : Peut-on dire qu’à cette époque, une petite communauté STM s’était constituée ?

SG : Oui, je pense. Il y avait cinq labos qui avaient démarré simultanément, avec pas mal d’échanges.

XG : Et aujourd’hui ?

SG : Aujourd’hui, le problème, c’est que le STM sert à tellement de choses différentes que ce sont des communautés différentes. Même si il y a des recouvrements, les thématiques sont très variées. Et l’instrument en lui-même ne suffit pas à souder les gens... C’est vrai que je connais personnellement beaucoup de gens qui font du STM sur des sujets très différents, c’est sûr ; mais je n’ai pas forcément d’interactions avec eux sur le plan scientifique, même si j’en ai sur le plan technique. Sur le plan technique oui, un peu, mais pas sur le plan scientifique.

XG : D’après ce qu’on avait cru comprendre, le STM, c’est quand même un instrument manipulé par des physiciens, pensé par des physiciens, mais qui commence à se diffuser dans des communautés qui ne sont pas celles des physiciens, mais des chimistes, des biologistes, d’autres communautés qui commencent à l’utiliser. Est-ce que c’est quelque chose que vous constatez ?

SG : Oui, mais c’est le cas depuis le début. En particulier, il y a eu les biologistes, beaucoup de biologistes... Disons que le STM a suscité pas mal d’espoir pour certaines recherches en biologie ; et donc, il y a des labos de biologie qui se sont équipés dès le début... et il faut bien dire que ça n’a pas été un franc succès. Parce que cet instrument, il n’est pas comme un microscope optique : je veux dire que faire des images avec, ce n’est pas tout à fait simple ; interpréter des images, ça n’est pas simple non plus, alors bon... je ne veux pas dire que le STM, c’est l’exclusivité des physiciens, mais que ce n’est pas un appareil que l’on peut utiliser en routine de façon habituelle. Enfin après, tout dépend ce que l’on veut faire avec, mais souvent, il y a beaucoup d’artefacts. Maintenant, les gens sont spécialisés. Il y a des gens qui travaillent pour les biologistes, mais en général ce sont des physiciens qui sont allés vers la biologie quand les biologistes sont allés vers la physique. Ce sont des physiciens, mais qui ont une espèce de double compétence. Ce ne sont pas des appareils que l’on peut utiliser comme ça. Ce n’est pas routinisé.

XG : Et ces biologistes qui se sont équipés : ils ont acheté des STMs, ou ils ont fait venir des physiciens dans leur labos ?

SG : Il y eu les deux. Certains ont seulement acheté des appareils ; et il y a des physiciens qui sont venus dans la biologie avec l’instrument.

SL : Ce qui implique, pour les recherches en biologie, qu’ils n’utilisent pas le STM en ultravide ?

SG : Oui, en pratique pour les biologistes, la plupart du temps c’est même en milieu liquide qu’ils font tourner le STM. 

SL : Alors ces labos de bio qui se sont équipés en STM, vous disiez que ce n’était pas un franc succès. Bref, comment vous voyez ces travaux ?

SG : Alors en effet, il y a des labos qui ont acheté un STM. Ils ont constaté qu’ils n’y arrivaient pas et ils ont laissé tomber. Il y a des labos qui se sont dit « il faut que j’y arrive » : ils se sont mis à fond là-dessus et il y a des cas où ça marche, justement, en milieu liquide. Il y a des physiciens qui sont allés vers la biologie parce que ça les intéressait. Il y a eu un peu tous les cas de figure. Mais ça demande une compétence... oui, une compétence de physicien que les biologistes peuvent acquérir, bien sûr, mais néanmoins, le biologiste, il faut bien dire qu’il n’est plus tout à fait exclusivement biologiste quand il commence à travailler avec cet outil. Inversement, il y a eu des physiciens qui ont voulu s’intéresser à des problèmes de biologie et qui sont tombés complètement à côté. Ils qui ont fait des choses qui, finalement, n’avaient aucun intérêt du point de vue de la biologie. Il obtenaient peut-être des belles images au niveau de la physique sur des objets biologiques, mais bon, c’était limité.

XG : Vous avez un exemple de ce cas de figure ?

SG : Je n’ai pas tellement d’exemple très précis là-dessus mais je sais qu’il y a eu pas mal de scepticisme chez les biologistes quand à ce qu’apportaient ces travaux. Ceci dit, ce n’est pas dû au STM, c’est un peu général... il faut dire que la façon dont les physiciens abordent les problèmes des biologistes se fait par une approche de physicien et non pas de biologiste... et il y a des biologistes qui trouvent que cela n’a pas d’intérêt.

XG : Est-ce que vous continuez à essayer de perfectionner le STM ?

SG : Oui. Tout le temps oui. C’est quelque chose de permanent. Perfectionner, modifier, adapter l’instrument à de nouvelles choses.

SL : Quelle est la proportion, au CEMES, entre les instruments qui sont achetés tout faits, ceux qui sont construits « maison », et ceux qui sont moitié commercial, moitié construits ?

SG : Oh, la tendance est clairement à acheter, maintenant.

SL : Et ça a changé beaucoup de choses ?

SG : Oui. Enfin pour ce qui concerne la microscopie en champ proche, oui, ça a été un changement. Mais ceci dit, il y a encore des gens qui fabriquent, ce n’est pas exclu. Mais il y a eu pas mal de changements à ce niveau là, oui.

SL : Pour quelle raison fabrique-t-on et pour quelle raison achète-t-on un STM ?

SG : Et bien au début, on fabriquait parce il n’existait pas d’appareil standard. On ne pouvait pas acheter un STM. Maintenant, on achète parce que finalement, développer coûte aussi cher que d’acheter parce que cela prend beaucoup de temps pour des résultats qui sont parfois meilleurs d’ailleurs... enfin cela dépend... c’est pour cela qu’on trouve des labos où on en fabrique encore et d’autres où on achète. Pour nous, en ce qui concerne les choses récentes, on a plutôt acheté.

SL : Qu’est-ce qui fait que l’on peut avoir un meilleur résultat quand on a un microscope qui est construit ?

SG : Pour un microscope à effet tunnel, ce qui est important c’est la stabilité. La température à laquelle on travaille est aussi très importante. Après, il y a beaucoup de choses autour. C’est rare que l’on fasse que du STM. Il y a plein d’autres techniques, un ensemble de choses disposées autour (figure 1) et qui varie d’une expérience à l’autre. Par exemple, il faut transférer l’échantillon. C’est toujours une opération un peu compliquée, plus ou moins facile ou difficile. Enfin, il y a toutes sortes de commodités annexes qui sont importantes dans l’utilisation quotidienne. Il y a des appareils beaucoup plus lourds à utiliser que d’autres. Cet aspect est important aussi.

Figure 1. Le STM et ses dispositifs périphériques.

XG : Vous voulez dire que le STM est devenu un instrument parmi d’autres ?

SG : Non pas tout à fait. Pour nous, c’est l’instrument central, en général, dans les manips’ que l’on fait. Ce qu’il va y avoir autour, au niveau instrumentation, dépend un peu du type de physique qu’on fait avec le STM. Par exemple, le problème avec les molécules, c’est que le dépôt est important. Il faut donc pouvoir déposer les molécules sur les surfaces comme on aimerait qu’elles le fassent, ce qui n’est pas toujours très simple. Il faut donc aménager des dispositifs pour le faire.

SL : On peut vouloir faire des choses très différentes avec le STM. On comprend bien que les possibilités sont très larges. Mais encore faut-il que les instruments le permettent. Les instruments commerciaux ont-ils toujours toute cette variété de fonctionnalités ?

SG : Si, et ils l’ont mêmes plutôt davantage que les instruments construits, mais il y a des cas où, si on développe un instrument pour une utilisation spécifique, il sera peut-être plus simple et peut-être plus performant pour cette application-là que l’instrument commercial, qui lui peut tout faire, mais... un peu moins bien. C’est souvent le cas de figure. Et puis aussi, l’intérêt d’un appareil qu’on a fait soi-même, c’est que c’est quand même plus facile à réparer qu’un appareil commercial. Et les budgets de maintenance il ne sont pas négligeables. C’est aussi à prendre en compte.

XG : Oui d’accord, évidement, un appareil qui a été fabriqué par vous il...

SG : il est plus réparable mais pas forcément plus simple... Enfin au moins, on ne dépend pas d’un service après-vente !

SL : Une fois qu’on l’a monté on sait comment le démonter...

SG : Oui.

SL : Et vous qui avez construit ce type de microscope, est-ce que vous vous occupiez aussi du soft, de l’électronique ?

SG : Ah oui, c’est pareil pour les softs. Au début, on faisait les softs du STM, maintenant, on les fait beaucoup moins.

SL : Et les logiciels développés par le labo, ESQC et STM Virtuel ?

SG : Le logiciel ESQC c’est un logiciel de calcul d’image, l’autre, de simulation. Mais ce n’est pas le logiciel qui pilote l’appareil. ESQC c’est du calcul d’image, le STM Virtuel c’est un peu différent. Il utilise l’ ESQC mais c’est une sorte de superstructure qu’il y a autour.

SL : D’accord. Mais pour le traitement des images, j’imagine qu’il y a eu des standards, des normes à adopter dans la conception de l’électronique, pour stabiliser les images ?

SG : Des standards ? non. Et c’est pour ça qu’il y a tellement de types de microscopes, de microscopes à effet tunnel. Il n’y a pas une proportion très standardisée, non je ne pense pas.

XG : D’accord c’est-à-dire que le STM qui est utilisé ici, ça ne va pas forcément être le même que chez le voisin ?

SG : oui, sauf que celui qu’on utilise maintenant est commercial, donc il y a un standard qui est imposé par l’entreprise qui le fabrique. Sinon, pour les appareils fabriqués il n’y a pas forcément de standard.

XG : Et l’offre commerciale, elle est très importante pour ces outils là, ou alors est-ce qu’il y a très peu de modèles, finalement, à choisir ?

SG : Par exemple, pour ce qui est du STM en ultravide, des fabricants sérieux, il y en a peut-être cinq sur la planète. Entre cinq et dix, mais je dirais plutôt cinq que dix. Chacun propose deux ou trois modèles différents. Vous voyez donc que ce n’est pas gigantesque.

XG : Et la différence des images obtenues, peut-elle être très importante d’un modèle à l’autre ?

SG : Non. Parce que la qualité des images dépend quand même beaucoup du savoir-faire de la personne qui manipule ce truc là ; ça dépend des échantillons ; de la préparation de la surface ; ça dépend de tellement de choses qui ne sont pas liées à l’instrument qu’on a beaucoup de mal à isoler la contribution de l’instrument dans le résultat.

XG : Et ça représente un changement par rapport au tout début de cette aventure ?

SG : Au début, il y avait effectivement des choses pas très fiables... mais bon il y a encore des bons et des mauvais instruments, c’est clair ; mais ça dépend de ce qu’on veut voir. Pour un certain type d’expérience, c’est clair qu’il faut avoir l’instrument adapté. A partir de ce moment là, les différences sont davantage liées au savoir-faire des gens qu’il y a autour que des instruments, très souvent. Bon, il y a aussi des instruments qui marchent bien mais qui sont beaucoup plus lourds à utiliser. Ce qui fait que les gens seront un peu moins productifs avec ce type-là d’instrument. Mais sinon, en termes de résultat, c’est difficile de montrer ce qui marche le mieux. C’est difficile à montrer. Il y a des groupes qui ont une grosse tradition de STM et d’autres qui l’ont moins, et c’est à ce niveau là qu’on voit la différence, c’est pas tellement au niveau de l’instrument lui-même.

XG : Vous, avec le recul, vous préférez travailler avec un instrument que vous avez acheté, ou que vous avez fabriqué, ou alors cela vous est indifférent ?

SG : Dans l’absolu, je préférerais travailler avec un instrument que j’ai fabriqué. Après, en pratique, si l’instrument marche bien, alors je n’ai pas de position de principe... Peut-être avec un exemple... tiens, le problème avec l’instrument que j’ai maintenant c’est que le soft il ne fait pas tout ce que je voudrais qu’il fasse. Et aller mettre le nez dans le soft actuellement c’est impossible parce qu’on n’a pas les sources. Alors là, on est complètement dépendant des gens qui vendent le logiciel. Et donc, qu’est-ce qu’on peut faire ? Soit on refait un logiciel complet, soit on est coincé. Mais si on a pas les sources c’est vraiment... Alors que sur un instrument fabriqué, moyennant le temps... si on suppose qu’on a le temps de développer le logiciel, on a toujours la possibilité de le faire, alors que là, par principe, on ne peut pas le faire.

SL : Vous ne pouvez pas faire appel au constructeur ?

SG : Pour les constructeurs, si il y a vingt groupes différents qui demandent la même chose, ils le feront. Si il y a un groupe qui demande quelque chose, il ne le feront pas. C’est la logique commerciale. Ils ne vont pas faire quelque chose comme ça à l’échelle d’un groupe. Ou alors, ils vont faire payer le service tellement cher que ce ne sera pas intéressant.

XG : Et quand vous dites « je ne peux pas faire ce que je veux avec le soft », cela va évidemment influer, j’imagine, sur les rapports que vous avez avec les chimistes qui synthétisent les molécules que vous manipulez et les autres physiciens qui aident à la conception ?

SG : Oh... un petit peu... certainement...un petit peu oui...

XG : Vous pouvez être plus précis ?

SG : Oui, par exemple, cette histoire de molécules qu’on peut déplacer avec la pointe du STM, il se trouve que c’est pas facile à faire. C’est compliqué quoi, on ne peut pas tout faire. Donc, si on a une idée de projet où il faut absolument manipuler une molécule de manière sophistiquée, on va avoir tendance à dire « non on peut pas le faire » ; l’idée, on va l’écarter tout de suite, on va se censurer là-dessus. On va plutôt essayer de faire des choses qu’on sait faire. Et donc l’instrument, ce qu’on sait faire avec lui, ça conditionne les choses. Ceci dit, comme il y a beaucoup de choses à faire, ce n’est pas une limitation majeure pour l’instant. Le jour où on aura une idée de projet où on considérera qu’il faut absolument faire une manip’ compliquée, alors soit on trouvera un moyen de la faire, soit on sera effectivement coincé.

XG : Là, il n’y aura pas d’autre solution que de racheter un autre appareil ?

SG : Oui ou, enfin, de refaire un logiciel ou de faire... une astuce. Ou alors, d’aller voir le fabricant pour essayer de le convaincre... et il faut avoir les moyens. C’est sur ces limitations que cela se joue.

XG : Vous connaissez des collègues qui continuent de fabriquer eux-mêmes leurs instruments ?

SG : Oui. J’en connais même un certain nombre. Je connais quelqu’un à Paris, Dimitri Roditchev. Il travaille à l’INSP [Institut des NanoSciences de Paris] à Paris, mon ancien laboratoire. Lui, il continue en partie à construire. Il y a des choses qu’il achète et des choses qu’il fait... c’est un peu l’école russe.

XG : Donc cette logique, celle d’abandonner la fabrication des instruments et de se mettre à acheter, elle n’est pas inexorable, finalement ?

SG : Elle n’est pas inexorable en effet, mais après, tout dépend des moyens qu’on a sur le plan technique. Pour faire du développement, il faut des gens, il faut des mécaniciens et, éventuellement, des électroniciens. Il faut tout ce monde-là, et cela prend du temps. Donc soit on a du temps, soit on a de l’argent, et si on a les deux, alors c’est parfait. Mais nous, ici, on a plutôt de l’argent mais pas beaucoup de bras, et donc ça dicte forcément une logique : celle d’acheter de l’appareil commercial. Si on a avait moins d’argent et plus de bras, peut-être qu’on construirait encore. Et puis les appareils commerciaux ont fait beaucoup de progrès aussi. Ça dépend un peu de tout ça.

XG : Est-ce que vous pensez qu’il est envisageable, si jamais vous bloquez un jour sur des limites liées au soft, d’envoyer les molécules, pour les faire traiter par des instruments fabriqués qui, eux, n’auraient pas cette limitation ?

SG : Bien sûr. Ça on le fait, oui. Parce qu’on est dans des réseaux européens, avec un certain nombre de gens qui font du STM. Et en fait, la répartition du travail se fait souvent sur ces bases-là. On peut très bien faire une molécule ici, faire une partie du travail dessus, et puis l’envoyer pour que ce soit repris par un autre groupe qui lui, peut très bien faire autre chose. C’est assez courant en fait.

SL : Et vous utilisez beaucoup l’AFM, également, au CEMES ?

SG : Globalement l’AFM est beaucoup plus utilisé que le STM, mais pas pour ce qu’on fait nous, parce qu’on travaille dans l’ultravide. Le problème avec l’AFM, c’est que sa résolution n’est pas au niveau du STM. Voir des molécules isolées, comme on le fait nous, c’est quelque chose qui n’est pas du tout routinier, et donc pour l’instant, il se trouve qu’on fait de l’AFM, mais que dans le contexte « molécule unique » c’est encore quelque chose qui n’est pas très... disons qu’à ce moment-là, imager la molécule à l’AFM est une fin en soi, alors que ce n’est plus le cas en STM. En STM, imager la molécule, c’est la première étape. En général, on veut aller beaucoup plus loin ensuite. En AFM, si on arrive à imager une molécule, on est déjà assez content. On essaiera peut-être de passer au-delà mais disons que ce qui, avec le STM, ne nous satisferait pas est suffisant en AFM pour l’instant. La résolution n’est pas du même niveau.

XG : Les chercheurs en matériaux utilisent davantage l’AFM ?

SG : Oh et bien l’AFM, c’est un instrument qui sert à tellement de choses... il sert au gens qui font des polymères, il sert à des biologistes...

XG : Je voulais dire dans le cadre du CEMES...

SG : Au CEMES, oui. L’AFM sert un peu au gens qui font du matériau, pour caractériser en surface la rugosité, la texture et des choses de ce genre. Mais là, c’est utilisé plutôt comme un appareil de routine parmi toute une palette de techniques. Il n’est pas du tout central pour eux comme le STM l’est pour nous.

SL : Et du microscope optique en champ proche, où la pointe est, si je comprend bien, une fibre optique ?

SG : La pointe est une fibre optique qui vient capter les photons près de la surface et qui utilise cela comme information pour faire de l’imagerie.

XG : Et c’est un appareil acheté ?

SG : Non, fabriqué.

XG : C’est vous qui l’avez fabriqué ?

SG : Non, c’est quelqu’un qui s’appelle Renaud Péchou. il a fabriqué ça il y a un petit moment.

SL : Il y a beaucoup de types de microscopes en champ proche aujourd’hui, non ? C’est tellement diversifié, spécifié...

SG : Ah oui, aujourd’hui, c’est tout un catalogue. Selon le type de sonde qu’on utilise, il y a vraiment pas mal de choses différentes.

SL : Elle s’est diffusée relativement vite quand même, la microscopie en champ proche ? Si on la compare par exemple avec la spectroscopie, on a l’impression que ça a pris très vite.

SG : Oui ça a pris assez vite. L’AFM c’est 1986, le STM c’est 1982. Après, je ne sais pas trop à quoi il faut comparer. Mais oui, ça a été vite. Surtout l’AFM, je dirais. L’AFM est beaucoup plus utilisé que le STM maintenant mais surtout en air, et comme appareil plutôt accessoire... il est dans un coin du labo, l’AFM, et puis, on y passe un échantillon de temps en temps.

XG : J’aimerais savoir une chose : être surpris par ce que fait la molécule que vous manipulez, par rapport à ce qui était prévu, ça arrive souvent ?

SG : Cela arrive souvent oui.

XG : Vous avez un exemple en tête ?

SG : Je n’ai pas d’exemple très précis. Je sais qu’il y a certaines molécules, comme celles qu’a fait André Gourdon et qui s’appellent les « landers », qui ont été développées pour une application bien précise, et qui se sont retrouvées servir à une multitude d’autres choses.

SL : Et il y a le cas des roues de la brouette non ? C’était des dimères, et puis on a aussi trouvé des trimères et d’autres fragments ?

SG : Oui, les brouettes, c’est un projet où pour l’instant, le gros problème, c’est déjà de mettre la molécule à peu près intacte sur la surface , ce qui n’est pas évident. Disons que elle n’a pas fait quelque chose de très inattendu, pour l’instant, cette molécule. Bon, c’est un projet ambitieux qui requiert pas mal d’étapes... pour l’instant, disons qu’il n’y a pas eu beaucoup de choses inattendues.

XG : Qu’est-ce qui a motivé, en 1997, votre arrivée au laboratoire. Pourquoi avait-on besoin, à ce moment là, d’un spécialiste du STM ?

SG : Et bien parce qu’au laboratoire, ici, il y a avait les chimistes de synthèse qui étaient déjà là, et il y avait la partie théorique où il y avait du calcul d’image. Mais il n’y avait pas de partie expérimentale STM. Il y avait un trou.

XG : Avant 97, il n’y avait pas de STM du tout au CEMES ?

SG : Non, pas dans la partie qui s’appelle GNS, ou « électronique moléculaire ».

SL : C’est quand Christian Joachim a commencé à vouloir faire de la molécule unique que sont arrivés les STMs ?

SG : Pour la chronologie, je ne sais plus très bien à vrai dire. Oui, disons que c’est à peu près à cette époque-là. Christian [Joachim] et André Gourdon étaient déjà ici. Ils travaillaient déjà avec le labo d’IBM à Zürich par exemple... donc il y avait visiblement un trou ici, parce qu’en effet, pourquoi aller faire à Zürich ce qu’on pouvait faire ici ? Et c’est comme cela que je suis venu. Effectivement, il était déjà question de molécule unique, oui.

XG : Vous êtes combien, vous, les physiciens, à vous occuper des instruments, type STM, AFM ?

SG : Pour la partie électronique on est deux CNRS, un prof et trois thésards.

XG : Et concrètement, les thésards, c’est quoi leur travail ici ? Ils contribuent à améliorer les instruments ?

SG : Non, leur travail, c’est de faire des manips’, de faire fonctionner les instruments, éventuellement de les modifier si il y a besoin oui, de les modifier pour quelque chose, d’interpréter les résultats, d’essayer de faire des calculs ; leur travail, c’est tout le spectre : de la clef de douze à l’ordinateur. C’est assez varié.

Fin de l’enregistrement.


Pour citer l’entretien :

« Entretien avec Sébastien Gauthier », par Xavier Guchet et Sacha Loeve, 16 novembre 2006, Sciences : histoire orale, /spip.php ?article2.


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