Sciences : histoire orale
Accueil du site > > Des documents pas comme les autres


Des documents pas comme les autres

Toutes les versions de cet article : [English] [français]

Les archives orales posent des problèmes spécifiques qui les différencient d’autres types de documents. Il convient de bien les caractériser afin de ne pas surévaluer leur portée.

D’une part, une archive orale est une production littérale, non une production littéraire. Mais elle n’est pas non plus un répertoire d’informations purement factuelles. Parce que le vécu et la mémoire d’un même évènement diffèrent d’un individu à l’autre, ou encore parce que la parole de l’interviewé est toujours orientée par le discours de l’interviewer – mais l’inverse est tout aussi valable –, une archive orale ne saurait être lue ou interprétée de la même manière qu’un document écrit. Son contenu est lacunaire et la mémoire dont elle est le dépositaire y est diffractée, parfois déformée. Le problème n’est pas qu’un tel document contienne des erreurs factuelles, car celles-ci peuvent toujours être corrigées par recoupement, mais plutôt qu’il porte la trace d’une mémoire irréductiblement située.

D’autre part, les sources orales valorisent incontestablement les points de vue locaux, et donc la « microhistoire ». Elles donnent accès aux normes qui structurent un collectif singulier, au carcan des institutions, aux savoir-faire situés et à leur mode de transmission. Mais elles ne dispensent pas d’un travail d’élaboration historienne plus « synthétique » et à plus long terme [1 ; 2].

Malgré leur caractère ambigu, les archives orales constituent un matériau irremplaçable pour appréhender les sciences dans leurs dimensions à la fois locales et complexes. Ce que restitue une archive orale, c’est une mémoire vivante, faillible, située, s’inscrivant dans un récit ou dans des fragments de récits, à l’occasion d’un entretien ayant lieu à un moment précis, dans une situation donnée configurée par les attentes que nourrissent chacun des protagonistes – attentes qui peuvent émerger ou rester cachées, se trouver déplacées, transférées dans des « rôles », déçues, satisfaites, oubliées, etc.

L’archive orale constitue également une source ambiguë en ce que la causalité de sa fabrication est inversée par rapport à des sources « classiques » : c’est en effet l’historien qui sollicite l’acteur et fait appel à sa mémoire, après quoi l’historien et l’interviewé « créent la source » ensemble ; en fonction des « rôles » qu’ils endossent, chacun a une marge de manœuvre, sans qu’aucun d’eux ne puisse complètement maîtriser le « résultat ». Une archive orale constitue donc un document intersubjectif et interdisciplinaire, la mémoire d’un échange et non l’enregistrement infaillible d’un témoin impartial.

  •  

Des outils de mémoire et des documents pour l’histoire

  •  

Présentation du site

[1] Ronald J. Grele, 1978, “Can anyone over thirty be trusted ? A friendly critique of oral history”, The Oral History Review, 6, 36-44.

[2] Charles Weiner, 1988, “Oral history of science : a mushrooming cloud ?”, Journal of American History, 75(2), p. 548-559.


Haut de page | Accueil du site | Table générale

Contrat Creative Commons

Sciences : histoire orale de https://sho.spip.espci.fr/ est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit.